Bonjour tout le monde. Je suis très content d’être à vos côtés pour vous parler de mon projet de dnsep passé à l’École d’art des Pyrénées, site de Pau. Élaborant une construction typographique, celui-ci s’est proposé de porter un regard sur les formes scripturales et typographiques présentes dans la culture basque pour les mettre en relation avec la langue basque afin d’en proposer une libre interprétation graphique et plastique. À ce propos j’encourage la lecture du numéro 13 de la revue Livraison intitulé « Langage et typographie » et tout particulièrement les premières lignes de l’édito qui se trouve ici : http://www.revuelivraison.org/Livraison13/Accueil-liv13.html
Mon intérêt pour ces formes alphabétiques identifiables est lié à un vécu. Ayant grandi à Bayonne j’ai pu évoluer au milieu de ces écritures singulières servant à indiquer le plus souvent des noms de commerces ou de bars revendiquant une appartenance ou ancrage plus ou moins direct avec la culture basque. Une expérience de stage en 2004 cristallisera ce constat puisque durant, il m’avait été confié la tâche de réaliser le graphisme du programme des fêtes de Bassussary en remplissant la consigne d’utiliser un des caractères perçus jusqu’alors lors de mes déambulations citadines et considérés comme « basque ». C’est en repensant à ces expériences – et en ne les ayant jamais tout-à-fait oubliées – que mon temps de dnap avait été mis à profit pour enquêter sur la provenance de ces écritures et de questionner leur prétendue identité basque. Poursuivre ce projet en dnsep m’a permis d’approfondir mes recherches en me posant de nombreuses questions, comme celle, fondamentale, de la culture basque, question qui vint en entraîner d’autres…
Ces questionnements m’ont amené à rencontrer et parler avec des chercheurs universitaires (Aurélia Arcoxa, Charles Videguain), des acteurs culturels de la langue (Paxkal Indo, l’Office publique de la langue basque, les gens d’AEK), et de la culture basque (Jacques Battesti et le Musée basque), des graphistes (Valérie de Berardinis, Pierre di Sciullo, Jack Usine, Ramuntxo Partarrieu), un réalisateur d’enseignes peintre en lettres de formation (Didier Bossé). J’oublie certainement de nommer encore d’autres personnes et je leur prie par avance de bien vouloir m’excuser.
On s’accorde jusqu’alors à reconnaître que le Pays basque est avant tout un territoire géographique traversé entre autres – et ce avant notre ère – par des Celtes, des Ibères, des Grecs puis – au début du millénaire – par des romains et que depuis très récemment, la chanson de Roland a été remise en question en ce qui concerne les « Sarrasins » puisqu’il s’agit de facto de Basques. Autre fait sur lequel s’accorde les chercheurs, la langue basque est une langue non indo-européenne s’écrivant en caractères latins.
Mon intention à travers ce projet a été d’aborder la question des écritures décrites précédemment servant usuellement à écrire des patronymes basques et quelques mots dans cette langue. À travers ces formes d’écritures très diverses et très répandues dans le paysage visuel du Pays basque, des questionnements de deux natures se sont posés. Les premiers furent d’ordre historique et paléographique. Quelles pouvaient être les origines de ces formes ? Les premiers travaux de digitalisation de caractères s’inspirant librement des inscriptions domestiques existantes sur les stèles funéraires et les linteaux de maisons présentes en Pays basque, réalisés dans les années 1970 – 1980 conjointement par Ramuntxo Partarrieu, Thierry Arsaut et l’imprimerie Ferrus ont apporté des éléments de réponse – http://www.basqueletters.com/UsTypes.htm.
Les apports culturels des civilisations précédemment évoquées, tout-à-fait plausibles si l’on se réfère par exemple aux ouvrages de Jean-Louis Davant, Histoire du peuple basque, de Jacques Allières Les basques, ou de Manex Goyhenetche Histoire générale du Pays basque m’ont permis d’oser une filiation entre ces inscriptions domestiques – répertoriées pour la première fois dans les années 1920 par l’instituteur bayonnais Louis Colas – et celles laissées par ces civilisations dans la zone géographique étudiée. L’exemple le plus éminent pouvant être la pierre dite « des neuf peuples » se trouvant à Hasparren, datant du début de notre ère.
L’autre aspect de ces formes alphabétiques qui a été questionné, dont la formation s’avère somme toute très récente, a été leur valeur sémantique et sémiologique.
Deux articles m’ont aidé à les estimer. Celui écrit par Rym Ben Younes, intitulé Tourisme et folklorisation – http://www.archi-mag.com/essai_35.php fut l’occasion de ne pouvoir nier un usage folklorique de ces écritures, reposant sur « un procédé de sélection des particularismes culturels les plus visuels des minorités [autrement dit les cultures minoritaires] pour faire leur ‹ promotion › ». Ces lettrages sont en effet aussi utilisés dans les secteurs culturels et touristiques en lien avec le Pays basque pour faire circuler et appuyer une image de marque, un savoir-faire, un patrimoine. Annick Lantenois, historienne et théoricienne en design graphique, à qui j’ai pu parler de mon sujet, avait eu cette remarque concernant la façon dont ces secteurs peuvent s’emparer des cultures dites minoritaires : l’appropriation passe par une exacerbation des signes produits par ces cultures quand ils ne sont pas laminés.
Ce point de vue rejoint celui dressé par Eduardo Herrera Fernández dans son article La letra vasca. Etnicidad y cultura tipográfica – http://www.monografica.org/04/Art%C3%ADculo/6529 ou http://www.revistasculturales.com/articulos/65/visual/147/1/la-letra-vasca-etnicidad-y-cultura-tipografica.html en ajoutant dans le cas précis du Pays basque un usage identitaire pouvant être fort dans certains contextes.
Mon sujet d’étude ainsi balisé, la question préoccupante fut celle-ci : comment dessiner un caractère typographique qui ne porte pas malgré lui une charge folklorique ou un sentiment identitaire fort ? Comment venir extraire une essence des écritures questionnées pour en proposer une interprétation qui ne marginalise pas et ne tombe pas dans ces registres, tout en ne refusant pas les formes toujours observées ? Comment proposer un alphabet qui ne s’exprime pas dans un dessin figé mais plutôt multiple dans ses formes défendant la vision d’un Pays basque multiple, multiculturel et ouvert sur l’extérieur ?
En considérant les éléments exposés précédemment, et c’est le point de vue que je défends, ces formes alphabétiques qui parsèment le Pays basque sont l’expression des différentes strates culturelles qui composent la culture basque. Elles portent en elles les traces des apports et des mélanges culturels divers qui se sont produits durant les années antérieures. Elles renferment en elles les influences culturelles multiples dont elles sont issues. Ainsi une construction typographique par couches, partant d’un squelette rappelant les inscriptions gréco-romaines dites « archaïque » qui va pouvoir être « habillé » vient servir ce propos. L’enveloppe s’étoffe généreusement comme cela peut se produire sur certaines stèles funéraires pour ensuite se parer de deux types d’empattements perçus eux aussi sur les stèles. Le dessin de caractère est ainsi amené dans un jeu de construction qui vient le renouveler, le modifier, l’hybrider et le multiplier.
Une construction typographique par couches Distribution des empattements rappelant la géographie du Pays basqueJe ne peux pas ne pas citer le travail de Peter Bil’ak avec le caractère History qui citait comme prédécesseur le caractère de Mathew Carter dessiné pour le Walker art center de Mineapolis ou encore celui de Jean-François Porchez avec le Conqueror qui ont été des références importantes dans la mise en place de cette approche. De plus participer à l’extension du caractère typographique Garaje de Thomas Huot-Marchand durant un chaleureux et très plaisant stage hivernal effectué en sa compagnie m’a montré une façon d’approcher le travail de dessin de caractères que je n’avais jusqu’à présent fait qu’effleurer. Ces références et influences m’ont permis de proposer un travail graphique et typographique assumant un aspect de « bricolage culturel » et sensible pour citer Pierre Bernard qui avait donné cette définition au mot graphisme lors du 3e volet de « Graphisme aujourd’hui » s’étant tenu à Pau en mai 2012 au sujet de la proposition de logotype pour la Villette en 1985 avec Grapus – http://graphisme-aujourdhui.esac-pau.fr/, vidéo Déplacement des formes d’engagement – conversation avec Pierre Bernard ; 00’34″00
L’outil typographique une fois façonné, il m’a fallu le mettre en action en proposant une utilisation. Comme je l’ai dit précédemment, à travers les écritures évoquées ce sont les strates de la culture basque qui sont présentes. Ces couches sédimentaires s’expriment également dans les chants et les récits de tradition orale et dont les traces imprimées, destinées en partie à les sauvegarder, ont été tardives comme nous l’apprend l’ouvrage collectif Kantuketan, l’univers du chant basque. Ce qui m’a intéressé a été de me saisir de poèmes populaires et contemporains faisant jaillir et chanter la langue basque avec vigueur, vivacité et entrain. Deux proches registres d’essais – héritiers de cette culture littéraire orale – ont été pratiqués à cette occasion. Un premier a été les poèmes déclamés par des improvisateurs, les bertsolaris. Ils ont servi de support d’expérimentation en raison de l’aspect très contemporain et empreint de quotidienneté que recouvre la langue lors des concours. L’autre fut un peu plus littéraire en se tournant cette fois vers des poèmes contemporains écrits.
Ces deux registres poétiques parents ont été mis à l’honneur dans des supports d’affichages divers, pensés aux dimensions de ceux présents à l’entrée des bars, des bistrots, des marchands de journaux ainsi qu’à celles des sucettes publicitaires pour mettre en avant les concours de poésies improvisées évoqués précédemment dans l’espace public. À titre d’exemple les longs formats ont été intéressants à exploiter par leur aspect rappelant les papyrus, les rouleaux d’écritures et les parchemins médiévaux. De cette manière le lien entre formes d’écritures antiques et actuelles continue d’être fait en s’emparant de supports contemporains en rappelant d’autres, ancestraux. Cela participe ainsi à souligner l’ancrage des formes littéraires contemporaines utilisées dans lesquelles continue de s’exprimer une langue bien vivante avec les formes historiques dont elles découlent.
La chose importante était de mettre la langue basque en avant sans pour autant mettre de côté les langues limitrophes qu’elle côtoie régulièrement qui sont le français et l’espagnol. Ainsi des traductions dans ces deux langues ont été proposées pour ouvrir la langue basque, la rendre compréhensible et peut être aussi plus familière. La montrer comme une langue qui accueille, qui tend la main vers les autres, vers ceux qui ne la possèdent pas fut important pour lui donner une dimension sociale et mettre de côté le scepticisme dont elle peut parfois être entourée.
Enfin, je terminerai par dire que ce regard porté sur la culture basque ne lui est pas exclusif. Il est partagé et commun avec d’autres cultures. C’est pour cette raison que ce travail de dessin de caractères ne se limitera pas à l’avenir à un emploi destiné à la seule sphère culturelle dont elle a pu s’imprégner. Il est intéressant de pouvoir le proposer aux autres. Il me reste encore quelques aspects de ce travail typographique à venir améliorer. Ces améliorations viendront progressivement pour à terme pouvoir diffuser ce caractère typographique.
Note : pour une ouverture et une analyse sur le thème du folklore et du graphisme voici un travail de diplôme mené par Antoine Bertaudière en 2009 à Nevers dont son auteur à eu la gentillesse de me faire partager ses amples recherches – http://www.antoinebertaudiere.com/post-graduation-essay.php.
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